• Vénus demi lot

     

    Depuis des mois je la regardais, fichée dans un pot de fleurs, oubliée à la campagne.

    Plusieurs fois, j'avais tenté de m'en approcher, mais le jardin avait beau ne pas être clos, on n'entre pas chez les gens.

    Elle avait son petit rebord de fenêtre dans les fleurs. Blanche lorsque la neige est tombée, prise sous la glace de janvier, toujours nue, à peine frémissante.

    Je pensais : on devrait la dessiner à l'Atelier…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     Un soir, il y avait quelqu'un.

    Je me suis approchée doucement, j'ai demandé si je pouvais emporter la dame blanche, l'acheter, ou l'avoir un peu.

    Le monsieur l'a soulevée de son pot de fleurs, elle lui a coupé la main. Il y avait du sang sur son cou de cygne.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il m'a dit qu'elle avait perdu l'autre moitié de son corps, que le bout gisait là, quelque part, il ne savait plus où.

     

     

    A la maison, j'ai essayé de la poser dans les fleurs, de la faire disparaître derrière. Elle avait son air perdu. Pourtant sans doute destinée aux faux décors grecs des jardins, ça ne lui allait pas. Elle n'était pas venue pour ça.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

      Alors je l'ai drapée de noir. Théâtral.

    Et j'ai compris pourquoi elle était si blanche : elle voulait faire apparaître les ombres.

    Et les ombres à leur tour l'ont éclairée.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

      

    Dans un mois elle retournera sur son rebord, dans ses géraniums, ses saisons, son usure du temps. Elle sera sans mémoire, comme n'importe quelle terre cuite, même peinte en blanc. Sans valeur. Puis finira par retourner définitivement d’où elle est venue, comme nous tous qui l'aurons aimé.

    Que pouvait-elle faire de mieux ?

     

     

     

     

    On dit qu'il en existe une autre, identique mais bien plus belle, bien plus précieuse, là-bas, à Paris, au Louvre. Tout en marbre.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

      

     

     

     

     

     

    On dit qu'elle est la mère de toutes les sculptures du monde.

    Qu'elle a plus de 2000 ans, qu'elle est née dans une île qu'on appelle Milo.

    Que c'est un paysan qui l'a trouvée il y a 200 ans, près d'un théâtre antique.

    Les musées du monde disent que son corps est tout entier animé d'un mouvement de torsion, qu'il s'inscrit dans toutes les dimensions de l'espace. Ils parlent de sa silhouette mouvante, de son attitude tourbillonnante et du modelé aux accents réalistes.

    Pure comme un éclair et comme une harmonie, ô Vénus, ô beauté, blanche mère des dieux dit le poète Leconte de Liste

     

     

     

    A l'Atelier, nous nous sommes installés autour d'elle, notre copie en terre cuite du rebord, chacun devant une de ses multiples facettes. Et ce que nous avons dessiné ressemblait à quelque chose de nous-mêmes. La vénus a disparu derrière des tas d'autoportraits, parfois un peu cabossés, ou en morceaux, coupés en deux, comme on se sent certains jours, parfois conquérants ou perdus. Parfois bien là, à percer le mystère.

    Le monde a copié ce buste des milliards de fois depuis plus de 2000 ans, comme nous l'avons fait studieusement.

    Et jamais il n'a été autre chose qu'un miroir.

     

     

     

     

     

    Toutes nos Vénus.


  • Commentaires

    1
    christi82 Profil de christi82
    Mardi 9 Avril 2013 à 09:01

    Magnifique histoire et photos. Quelle chance de l'avoir trouvée, même pour un mois ! :)

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