Nous avons longtemps eu le sentiment qu'on nous avait caché quelques choses. Peintres depuis toujours, il nous avait suffi de nous rendre en magasin pour trouver tout ou à peu près le matériel nécessaire. Moyennant finances bien sûr, et pas qu'un peu.
Dans les années 80 : première rencontre avec la peinture d'icône, et le magnifique travail d'un moine caché au fond d'un monastère orthodoxe. Si belles couleurs, que je lui demandai bien naïvement où il les trouvait. D'un regard il a embrassé la montagne avant de répondre : nulle part ailleurs qu'ici. J'ai bien regardé, mais je n'ai rien vu que des pierres, des fleurs des champs...
Tout le monde pensera que j'étais bien bête. Mais comment savoir que les légumes ne poussent pas sur les étals ni les couleurs dans des tubes, quand on n'a jamais vu le monde que comme ça ?
Le magicien des couleurs fournit tout dans de jolies boîtes, en pâtes, en bâtonnets, en godets... Les artisans gardent leurs recettes secrètes, on parle de confréries, de mystères perdus, d'alchimistes...
Le vert c'est quoi ? Ça vient d'où ? Comment fabrique-t-on du rose ? A partir de quoi peut-on créer du noir ? Au départ il y eut la couleur, puis la lumière qui la fit exister, et le peintre pour les découvrir et les associer.
Au départ, vraiment, depuis les premiers temps : une racine frottée et trempée longtemps, une chenille écrasée, un bois brûlé... Partout le monde devint polychrome. En Egypte, en Perse, en Europe, en Afrique, en Australie, en Asie... Les artistes réinventent la vie à partir de quelques pierres, quelques herbes, de la terre.
Puis des apothicaires, marchands de rêves et de couleurs en firent négoce. Lorsqu'on sait que les bruns, les rouges sombres, les sépias viennent de notre terre, il est difficile de ne pas céder à la tentation... d'aller gratter dans la campagne. Allons-y !
La comparaison est cruelle. La teinte pure aveugle, éblouit : origine de la couleur retrouvée dans le creux de la main. Une irrépressible envie de créer naît dans l'émerveillement. Pas nécessairement des formes précises, des miroirs, mais sous les doigts dort toute une symphonie qui veut jouer, et être jouée ! C'est à partir de ces poudres magiques que les fabricants de couleurs créent leurs propres œuvres d'art qu'ils emballent soigneusement pour nous, les mêlant à des huiles, des gommes, des laques... A nous de nous les réapproprier... Sur du papier, de la toile, avec de l'eau, du miel, du riz... ou libres en poudre...
En retrouvant les gestes qui ont toujours été les nôtres : au couteau, au doigt, avec toute la main...
Nous sommes faits pour nous entendre, nés de la même terre, sous les mêmes pierres, vivants organiques, aussi purs que des pierres précieuses reflétant le soleil, aussi uniques que des fleurs...
Identiques.
J'ai toujours pensé que les êtres vivants devraient pouvoir choisir leur couleur. Personnellement je serais bleue. Mais il y en aurait pour tous les goût.
En attendant j'aime l'idée de danser avec la couleur et de la faire danser. Libre, originelle. Le toucher satin des pigments communique une sensation unique. L'art est né en même temps que nous. Il nous définit. En retrouver l'origine nous rend meilleurs...